Gestalttheorie, la théorie de la forme

Introduction

Le postulat est le suivant : dans notre environnement complexe, le cerveau humain tend à mettre en forme le monde qui l’entoure, il cherche à donner une structure et un ordre apparent à ce qu’il perçoit.

Pour ce faire, lorsque l’on observe une image complexe, notre cerveau reconnaît des formes cohérentes et entières plutôt que de percevoir individuellement les parties qui les composent.
Ce fonctionnement fut théorisé sous le terme de Gestalttheorie (théorie de la forme en français), une théorie qui définit les principes de la perception.

Dans l’article suivant nous verrons comment est née « la théorie de la forme » et découvrirons en détail les différentes lois de perceptions associées

I- Un peu d’histoire

Avant de rentrer dans le vif du sujet, prenons le temps de découvrir comment le mouvement est né et qui sont les acteurs principaux.

Les origines

Tout commença avec le philosophe viennois Christian von Ehrenfels (1859-1932) dans une publication de 1890 “Über Gestaltqualitäten” dans laquelle il souligna qu’une mélodie est toujours reconnaissable peu importe la tonalité sur laquelle elle est jouée.

En effet, d’après lui si « une mélodie et ses notes sont indépendantes, alors un ensemble n’est pas simplement la somme de ses parties, mais un effet entier et synergique ».  

La montée

De gauche à droite : Max Wertheimer, Kurt Koffka, Wolfgang Köhler 

Par la suite, c’est au début du XXième siècle, que la notion de Gestaltpsychologie (psychologie de la forme) s’est développée en Allemagne, notamment grâce aux psychologues Max Wertheimer (1880-1943), Kurt Koffka (1886-1941) et Wolfgang Köhler (1887-1967). 

L’histoire nous raconte que le développement de la Gestaltpsychologie a été influencé par les observations de Max Wertheimer lorsqu’en 1910, pendant un voyage en train, il aperçu une série de feux clignotants à un passage à niveau. Ces feux ressemblaient, selon lui, à des lumières clignotantes encerclant les écriteaux des enseignes de cinémas. Selon ses observations, nous sommes capable de percevoir le mouvement en absence de tout objet en mouvement (phénomène Phi). C’est la publication de ces résultats qui marqua le début de la Gestaltpsychologie.‍

Ces théoriciens s’opposent au structuralisme, école de pensée dominante fondée par Wilhelm Wundt (1832-1920) qui a pour théorie que la perception est composée de plusieurs sensations primaires pouvant être “découpées” élément par élément. De même sorte qu’on décompose une molécule en atomes.

En effet, selon les gestaltistes, pour donner un sens aux choses qui nous entoure, nous les percevons en priorité dans leur ensemble, puis ensuite dans les détails. Notre perception correspond à un tout. Un tout qui est différent de la somme des parties. Le changement d’une partie de ce tout peut modifier complètement la réalité.
Ce qui veut dire que la perception est relative, elle dépend des caractéristiques de l’environnement et des attentes du sujet.

La chute

Bien que ce modèle ait connu un important succès en Europe durant l’entre-deux-guerres. Le modèle proposé par les Gestaltistes n’a pas toujours eu le vent en poupe. En effet, suite à la prise de pouvoir des nazis, les fondateurs de la Gestalt ont dû émigrer au États-Unis, interrompant de facto leurs travaux.
De plus, la Gestaltpsychologie a eu du mal à trouver sa place aux USA, car le modèle régnant en maître à cette époque se trouvait être le behaviorisme, école de pensée fondée par John Broadus Watson (1878-1958). Ce qui amena la Gestaltpsychologie à un point mort.

La renaissance

Mais en dépit des critiques faites par certains comportementalistes, la Gestaltpsychologie redeviendra populaire. Notamment grâce aux psychologues comme Kurt Lewin (1890-1947) et Solomon Asch (1907-1996) avec leurs travaux sur le “Leadership » et la »dynamique des groupes”.

II- Les Principes clés

“The basic thesis of gestalt theory might be formulated thus: there are contexts in which what is happening in the whole cannot be deduced from the characteristics of the separate prices, but conversely; what happens to a part of whole is, in clearcut cases, determined by the laws of the inner structure of its whole.”

Max Wertheimer

Issue du terme allemand Gestalt, pouvant signifier “forme”, la théorie de la Gestalt ou Gestalttheorie repose sur le paradigme que la perception d’une forme globale précède la vision du détail.
En effet, si nous regardons une scène, nous percevons d’abord la scène dans son ensemble, puis ensuite les éléments individuellement. Prenons un autre exemple, celui d’une table. Nous voyons en premier un tout, un tout qui est autre chose qu’une planche et 4 pieds.

Ce paradigme est basé sur les 4 principes suivants :

Emergence – le tout est identifié avant les parties.

Lorsque nous essayons d’identifier un objet, nous cherchons d’abord à identifier son contour. Puis nous comparons ce motif à des formes déjà connues pour ensuite établir une correspondance. Ce n’est qu’après ce « processus » que l’ensemble émerge.

Réification : le cerveau comble les lacunes.

La réification est un processus dans lequel l’objet perçu contient plus d’informations qu’il n’y en a. Notre cerveau va comparer l’objet perçu avec les images stockées dans notre mémoire pour ensuite reconstruire l’objet complet.

Multistabilité : le cerveau cherche à éviter l’incertitude.

La multistabilité est la tendance à percevoir un « tout » ou un autre, jamais les deux en même temps. La perception se déplace entre les différentes représentations. 

Invariance : nous reconnaissons les similitudes et les différences.

L’invariance est une propriété de la perception par laquelle les objets géométriques simples sont reconnus indépendamment de la rotation, de la déformation, de l’échelle et de la translation.

III – Les différentes lois

Dans un papier écrit en 1923, Wertheimer a statué un certain nombre de lois qui décrivent la façon dont notre esprit tend à percevoir l’information visuelle. 
Rock & Palmer ont par la suite enrichi ces lois via l’apport de nouveaux principes.
Elles sont simples à comprendre, il en existe une variété pouvant être synthétisées simplement, via une phrase ou une image.
Par ailleurs, il est important de noter que même si ces principes sont considérés comme des “lois” nous sommes en réalité plus proches d’heuristiques, car ils sont dépendants de notre perception. 

Loi de Similarité

Nous percevons les éléments comme appartenant au même groupe s’ils se ressemblent.

Ici, tous les éléments sont des ronds de même taille, positionnés à la même distance les uns des autres. Cependant le fait que certains soient bleus et les autres oranges créées une distinction qui nous permet de distinguer deux groupes.

Loi de Destin Commun

Des parties en mouvement ayant la même trajectoire sont perçues comme faisant partie du même groupe.

Sur l’image ci-dessus, la trajectoire (représentée par le sens des flèches) nous aide à percevoir et à catégoriser les éléments en différents groupes.

Loi de Clôture

Une forme fermée est plus facilement identifiée comme une figure qu’une forme ouverte.

Nous cherchons à fermer automatiquement les formes qui ne le sont pas pour créer une figure logique et qui a du sens pour nous.
Dans l’exemple ci-dessus, nous identifions assez facilement un décagone blanc, et ce, malgré le fait que ses contours ne soient pas clairement définis.

Loi de Prägnanz (ou loi de bonne forme)

Un ensemble de parties informe tend à être perçu d’abord comme une forme. Cette forme se veut simple, symétrique, stable, en somme une bonne forme.

Cette loi est un principe fondamental de la gestalttheorie.

Dans l’exemple ci-dessus, nous pouvons la voir à l’oeuvre. Dans le premier cas, il est plus facile de percevoir un unique objet complexe alors que dans le second cas il est plus facile de distinguer trois objets distincts plutôt qu’un seul objet complexe.

Loi de Continuité

Des points rapprochés tendent à représenter des formes, nous les percevons d’abord dans une continuité comme des prolongements les uns par rapport aux autres.

Notre œil créé une sorte d’élan lorsqu’il se déplace d’un objet à l’autre, et les lignes augmentent cet effet. Ici, nous percevons une courbe et ce même si une ligne continue ne la dessine pas clairement.

Loi de Symétrie

Des éléments symétriques sont perçus comme appartenant à un même groupe.

Tout comme la loi de similitude, ce principe suggère que les objets qui sont symétriques les uns par rapport aux autres seront plus susceptibles d’être regroupés que les objets qui ne sont pas symétriques les uns par rapport aux autres.
Dans l’exemple ci-dessus, le principe de symétrie nous permet de percevoir les figures de droite et de gauche comme une figure unique et non comme deux figures séparées.

Loi de Connectivité Uniforme

Des éléments étant visuellement connectés sont perçus comme étant plus liés que ceux sans connexion.

Les éléments qui sont reliés par des propriétés visuelles uniformes, comme des formes ou des couleurs sont perçus comme étant plus liés que les éléments qui ne sont pas connectés.
Dans l’exemple ci-dessus, cette connexion entre les éléments est visible grâce aux traits les reliant.

Figure-Ground Distinction

Les éléments sont perçus soit comme la figure ou comme le fond.

Un autre principe très important de la perception. Il explique que nous faisons une distinction entre la figure, qui possède un contour défini et qui se détache, puis le fond qui est moins distinct, souvent flou.
La figure étant l’élément focalisé tandis que le fond est le background derrière cette figure. Nous ne pouvons donc avoir plusieurs éléments focalisés.

Sur l’exemple présenté plus haut, nous ne pouvons avoir en focalisation les bulles blanches sur fond bleu et les bulles bleues sur fond blanc, c’est soit l’un, soit l’autre. 

Loi de Région Commune

Les éléments sont perçus comme un groupe s’ils sont localisés dans la même région.

Des éléments localisés dans une même région sont considérés comme faisant partie d’un même groupe.
Dans l’exemple ci-dessus, nous percevons plusieurs points, ces points sont rangés par régions. Nous distinguons ces régions notamment grâce aux contours qui les délimitent. 

Loi de Proximité

Nous percevons les éléments comme appartenant au même groupe si ceux-ci sont proches les uns des autres.

Dans l’exemple ci-dessus, nous pouvons constater que malgré des formes et couleurs identiques, les éléments sont perçus comme regroupés en trois groupes distincts. 

Loi du point focal

Des éléments avec un point d’intérêt, une emphase ou une différence, attireront et retiendront l’attention du spectateur.

Ce principe suggère que notre attention sera d’abord dirigée vers des points de contrastes, c’est-à-dire les éléments qui ressortent le plus.

IV – Résume

Plus d’un siècle après les premières théories, la compréhension de ces lois est toujours d’actualité.

En effet, notre temps passé derrière des interfaces – physiques ou digitales – est de plus en plus important, que cela soit en voiture, dans notre environnement de travail ou encore chez nous. Nous sommes bombardés d’interfaces de toute forme.

Notre devoir en tant que Designer est de faire en sorte que ces interfaces soient les plus efficaces et performantes possibles.
C’est-à-dire qu’elles fassent ce pourquoi elles sont conçues et qu’elles le fassent bien. Dans ce sens, il est important de connaître ces différentes lois car elles sont à la base de tout travail visuel en décrivant comment les objets sont perçus.

De plus, cela nous permet de comprendre comment le cerveau humain peut appréhender son environnement et donc nous permettre d’être efficaces dans la construction des interfaces.

V – Annexes & Ressources

Biographies :

Pour allez plus loin :